La série Rock’n’Roll – Ses origines et son expansion fulgurante

Mise à jour – déc 2012:
L’article ci-dessous a été écrit avant qu’il soit confirmé que le marathon de Montréal avait été bel et bien vendu au Competitor Group (alors que l’organisation locale parlait initialement d’une association). La serie ‘Rock’n’Roll’ a par ailleurs poursuivi sa vague d’implantation: elle compte maintenant 28 marathons (ou demi-marathons) en Amérique du Nord, et déjà 6 événements en Europe.

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La série de marathon Rock’n’Roll s’amène à Montréal par l’entremise de son association avec le marathon OASIS.

Doit-on parler d’association ou d’une acquisition? A vous de juger. La description qui suit présente les origines et les composantes de ce géant des médias et des événements sportifs aux États-Unis.

Prochain article, La série Rock’n’Roll – Quel impact sur le marathon de Montréal?

 

Les origines

C’est en 1998 que remontent les origines de la série avec la tenue du Suzuki Rock’n’Roll marathon à San Diego, en Californie. Ce n’était pas la première fois qu’un marathon présentait des performances musicales, mais c’était la première fois qu’un événement en faisait sa signature, en offrant notamment une scène avec un groupe à chaque mille. L’édition inaugurale fut un gros succès, remportant du coup le record de la plus grosse première édition pour un marathon, avec près de 20 000 participants.

Lors des éditions subséquentes, on peaufina le concept en adoptant un tracé plus ‘scénique’ et en ajoutant encore plus de musique et des équipes de cheerleaders le long du parcours.

  • Miles of entertainment!
  • Live bands at every mile
  • Spirit on the Course cheerleading competitions
  • Finish Line Festivals
  • Two-day Health & Fitness Expos
  • Headliner Concerts
  • Destination Events
  • Huge Charity Fundraisers

 

La croissance sous Elite Racing

Sous la gouverne du propriétaire de l’événement, Elite Racing, le concept prend de l’expansion avec la création d’un événement similaire, à Nashville au Tennessee, en 2000. Le Country Music Marathon est suivi en 2001 d’un demi-marathon à Virginia Beach.

Le rythme de croissance de la série est alors d’un nouvel événement à tous les deux ans.

Logos des événements de la série en 2007, sous Elite Racing

Elite Racing est une compagnie privée basée à San Diego, et fondée en 1988. Avec 8 événements ‘world-class’, elle est en 2008 le plus gros propriétaire et opérateur d’événements de course aux États-Unis. Elle emploie alors 65 personnes. Les revenus sont variés, provenant des frais d’inscription, des commandites, des droits de télévision, de la marchandise et d’expositions sur le thème de la forme physique.

 

Création de Competitor Group

En janvier 2008, une firme d’investissement privée, Falconhead Capital, fait l’acquisition simultanée de trois compagnies basées à San Diego :

  • Elite Racing,
  • La Jolla Holding Group LLC (connu par son Triathlete Magazine) et
  • Competitor Publishing.

L’opération conduit à la création du Competitor Group, Inc (CGI), qui tiendra dorénavant les reines de la série Rock’n’Roll Marathon.

La combinaison instantanée de ces trois composantes permet à Competitor Group de réaliser un effet de convergence très profitable. Elle contrôle en effet alors des magazines dont la publication rejoint (en 2008) 500 000 personnes, et une force de marketing qui l’aide à faire la promotion de ses événements, qui en retour profitent des droits de diffusion.

Le groupe, fort de ses centaines d’employés permanents, bénéficie d’une énorme machine marketing et produit des analyses financières qui lui permet d’attirer des commanditaires nationaux. Elle offre une visibilité sur de nombreuses plateformes (lors du marathon, des concerts, mais aussi sur leur site web, sur la marchandise, etc…).

Qu’on en juge :

  • 390 000 participants (2010), 450 000 (prévision pour 2012)
  • 653 000 visiteurs aux expos santé
  • 1 300 000 spectateurs
  • Force majeure de levée de fonds, ayant recueilli $256 millions (US) depuis 1998.

La clientèle attirée par les événements du circuit est décortiquée et présentée en détail dans les documents (media-kits) du groupe. On est ici en présence d’une machine marketing bien rodée, qui décide de ses prochains coups en fonction des analyses de public-clibe et de rentabilité, bien plus que d’une quelconque passion pour le développement du sport. :

  • 36% des coureurs viennent de l’extérieur (d’un autre état)
  • Les coureurs proviennent de tous les états, ainsi  que de 70 pays
  • 60% des coureurs affichent un revenu au-dessus de 70000$
  • 78% ont un baccalauréat ou plus
  • En moyenne, 3,23 personnes voyagent avec chaque participant
  • L’âge moyen est de 38 ans
  • 38% sont des hommes, 62% des femmes

On dit également dans l’analyse démographique que les coureurs sont des gens d’influence dans la société, par leur activité bien sûr, mais certainement aussi par leur pouvoir d’achat, et leur désir de s’équiper avec la dernière technologie (bien des coureurs sont prêt à tout pour s’équiper avec ce qu’il y a de mieux).

Évidemment, si des coureurs d’élite peuvent aussi signer des records lors des épreuves, c’est bien tant mieux, mais cet aspect importe peu. La plupart des élites ne reçoivent que peu d’attention des medias généralistes, et ne peuvent peser bien lourd dans la balance. Ce qui se reflète d’ailleurs dans la documentation et le site de la série: on n’en parle pratiquement pas (i.e. ça n’a rien à voir avec le Canada Running Series, par exemple).

 

Les ‘événements-destination’. Impact économique et touristique

La ‘marque de commerce’ de la série permet d’attirer de nombreux coureurs venant de l’extérieur. Le marathon est traité plus comme un festival ou une attraction touristique qu’un événement sportif. Les coureurs de marathons sont friands de ces destinations. Comme les performances de course ont pris une importance secondaire, c’est l’expérience humaine qui prend la relève. Si en plus l’événement offre à la fois un marathon et un demi-marathon, c’est un couple ou même toute une famille qu’on peut attirer à l’événement. Pas pour rien que justement tous les événements de la série ont été transformés pour accueillir des demi-marathons.

A l’image de la formule 1, les organisateurs peuvent alors se servir de l’argument des retombées financières pour convaincre les autorités locales d’offrir de l’aide pour accommoder l’événement (parcours,  services de police, etc..).

L’argument est de poids. Les événements jadis locaux, qui fonctionnent en général avec une poignée d’employés permanents, n’ont pas le même pouvoir de négociation, et ne peuvent offrir le même genre de visibilité à une ‘ville-destination’.

 

Entreprise globale vs organisation locale

C’est probablement d’ailleurs pour cette raison que le Competitor Group, lorsqu’il s’associe à un événement existant, s’assure de garder en place la structure locale, plus apte à négocier avec les autorités. C’est aussi plus facile pour l’organisation locale de recruter les milliers de bénévoles requis pour le bon fonctionnement de l’événement. Ça devient plus difficile à expliquer si c’était la compagnie privée, qui fait des profits avec l’événement, qui recrutait les bénévoles.

Comme on le sait, les bénévoles sont le nerf de la guerre pour ces événements, sans eux, ils n’auraient tout simplement pas lieu.

Dans le cas du Marathon de Montréal, on s’évertuera à nous dire qu’il s’agit d’une association, les maîtres d’œuvres demeurant locaux. C’est probablement vrai. Et c’est certainement habile. C’est comme cela partout où la série s’est implantée. En plus, contrairement à une usine ou une équipe de sport achetée par un groupe américain, le marathon, lui, ne peut être relocalisé.

 

Charité et controverse

Les événements de la série Rock’n’Roll sont presque toujours également associés à des levées de fonds pour des organismes, des hôpitaux, etc… C’est d’ailleurs une tendance lourde dans le domaine de la course, car rien de tel qu’une bonne cause pour aider à attirer coureurs et bénévoles.

Mais voilà, alors que la plupart des organisations de course à pied sont souvent elles-mêmes à but non-lucratif, le Competitor Group, sous l’égide d’un fonds de placement privé, a essentiellement pour but le retour sur l’investissement. La cause pour laquelle on incite les gens à courir devient alors un argument de plus, sinon un argument essentiel pour attirer les bénévoles qui sont absolument requis pour faire fonctionner l’événement.

À ce sujet, lors du rachat d’Elite Racing, la revue des états financiers a montré que le mélange des deux activités comporte des risques. En effet, il a été démontré que la fondation associée au marathon de San Diego avait gonflé les chiffres de dons effectués, et que certains de ces dons avaient en fait été dirigés vers l’entreprise privée, par exemple pour payer une partie de l’organisation de l’événement. Ainsi, l’état de Californie et la ville de San Diego avaient versé des subventions pour aider l’organisme de charité qui ont été utilisées incorrectement. Le Competitor Group a été forcé de rembourser ces montants en 2009 pour éviter d’être trop associé à la controverse.

 

Ajout des demi-marathons

La tendance est lourde : il subsiste de moins en moins d’événements qui n’offrent comme distance que celle du marathon. On doit d’ailleurs une bonne partie du regain d’intérêt pour les compétitions de course à pied à l’ajout d’épreuves plus accessibles à tous.

Le niveau de participation aux demi-marathons est largement supérieur à celui des marathons, et souvent le tarif d’inscription est presque similaire. Le taux de rendement financier de ces événements est donc bien supérieur. (Pensez à Québec, où l’organisation réussit à convaincre des coureurs de payer près de 100$ pour un 10km!! Sous prétexte de services offerts égaux à ceux du marathon!!)

Mais en plus, les demi-marathons attirent une clientèle différente, ce qui augmente bien sûr le bassin de coureurs potentiels mais aussi le public-cible d’intérêt pour les commanditaires.

La série Rock’n’Roll suit la tendance et a donc entrepris de convertir tous ses événements qui n’offraient qu’un marathon. Plusieurs des événements ajoutés à la série ces dernières années ne comportent en fait qu’un demi, plus facile à gérer.  Le marathon original de la série, à San Diego, fut le dernier à voir l’ajout d’un demi en 2010. La série offre maintenant :

  • 13 demi-marathons seulement
  • 13 marathons et demi
  • 1 10k (New-York)

On peut comprendre, en regardant le tableau des plus gros événements aux États-Unis, que la formule du demi a un succès indéniable. Voici, parmi les 50 plus gros demi-marathons et marathon où se classent les événements de la série Rock’n’Roll (statistiques de 2010)

Les plus gros événements faisant partie de la série Rock'n'Roll
Les plus gros événements faisant partie de la série Rock'n'Roll (2010)

Malgré que la série a attiré moins de coureurs aux marathons en 2010 qu’en 2009 (elle a cannibalisé un peu ses propres événements), au total le choix d’offrir des demi-marathons est clairement gagnant!

 

 

Saturation aux États-Unis

Si on regarde l’ajout des courses de la série RnR au fil des ans, on voit que les événements ont été choisis pour combler les vides dans le calendrier. Tout au long de l’année il y a maintenant des événements Rock’n’Roll, bien répartis géographiquement. Ce calendrier n’a rien d’un hasard, on s’arrange pour ne pas offrir deux marathons consécutifs dans la même région.

Mais, avec 19 événements offerts aux États-Unis, le point de saturation est pratiquement atteint. Chaque métropole suffisamment attrayante pour attirer 20000 coureurs a été couverte.

La suite logique est donc de s’étendre à l’extérieur du pays.

Évolution de la série Rock'n'Roll
Évolution de la série Rock'n'Roll

Le modus operandi est le même : trouver des événements existants qui plafonnent (ex : Nouvelle-Orléans) ou alors qui présentent un potentiel de croissance (ex : Montréal), dans un milieu propice à la scène musicale et artistique (ex : Edinbourg) et en faire l’acquisition ou s’y associer pour y implanter le ‘format’ Rock’n’Roll. De cette façon on peut alors offrir des événements simultanés ou presque, sans trop risquer la ‘cannibalisation’.

La question qui se pose est évidemment jusqu’où cette expansion se poursuivra. On peut sûrement imaginer une croissance en asie, et voir un calendrier Rock’n’Roll qui couvrira la planète.

Est-ce qu’on y perd un peu par contre au change, si tous les événements les plus populaires sont du même type?

Mise à jour 2012:
Depuis la création de ce tableau, la série s’est enrichie d’autres demi-marathons dont celui de Pittsburg (portant le total à 28 événements en Amérique du Nord) ainsi que celui de trois autres en Europe (Dublin, Oslo, Nice).

 

Standardisation et modifications pour accroitre la participation

Les événements de la série sont standardisés afin d’offrir une ‘expérience’ similaire (un peu comme dans les allées d’un Costco ou un Wallmart).

Le coureur sait donc à quoi s’attendre et peut donc ainsi en toute confiance s’inscrire à plus d’un marathon de la série. On souligne d’ailleurs ces clients fidèles avec des médailles spéciales, pour ceux qui auront couru 2, 3, 4, 5, 6, 7 voire 10 événements de la série.

 

Et la saveur locale?

En même temps, il faut tout de même retrouver et préserver une certaine saveur locale.

Le cas du marathon de la Nouvelle-Orléans illustre les modifications qui peuvent être apportées pour faire entrer une épreuve dans le moule.

Le ‘Mardi-Gras Marathon’ existait depuis 45 ans, lorsqu’il fut intégré à la série, en 2010. Le New Orleans Track Club en était l’organisateur. La participation plafonnait à environ 7500 coureurs en 2009.

En deux ans, après l’association avec le Competitor Group, la participation est passée de 7500 participants (2009) à 15 000 (2011). Mais cela est demeuré sous les attentes du groupe.

Le nom de l’événement est donc modifié en 2012, pour s’assurer que le nom du lieu y soit bien évident (le RnR Mardi Gras Marathon devient le RnR New Orleans) et aussi pour éviter d’être associé au festival du Mardi Gras. Le parcours est également modifié, pour rapprocher le départ du centre-ville, plus touristique, plus proche des hôtels.

La série Rock’n’Roll espère ainsi faire de la Nouvelle-Orléans une des plus grosses destinations marathon au pays, notamment en raison du parcours plat qui permet de bonnes performances, mais aussi en raison du caractère festif de la ville.

À parcourir les blogues, on voit que les coureurs ‘locaux’ de la Nouvelle-Orléans sont partagés sur l’évolution de leur course. Certains aiment la nouvelle atmosphère, d’autres estiment que ce qui en faisait un événement à saveur Louisianaise a disparu, et que les coureurs se font servir de la musique et de la nourriture qui pourrait se retrouver partout ailleurs.

http://www.nola.com/running/index.ssf/2011/05/beginning_in_2012_the_marathon.html

Pendant ce temps, l’organisation locale, fondatrice de l’événement, passe inaperçue, et s’occupe de trouver les bénévoles. Dans les faits, il s’agit bien plus d’une acquisition que d’une ‘association’.

Est-ce que ce sera le même phénomène avec Montréal?

Lire la suite: La Série Rock’n’Roll – Quel impact pour le Marathon de Montréal?

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